Les anomalies de la motilité oculaire d’origine mécanique sont causées par une atteinte musculo-tendineuse : fibrose, incarcération ou compression.
Leurs étiologies sont toujours périphériques mais très variées : orbitaire, tendineuse ou myogène (atteinte myogène primitive et/ou secondaire à une anomalie de développement d’un ou de plusieurs noyaux oculomoteurs).
Ces anomalies de la motilité oculaire d’origine mécanique se caractérisent par une limitation des versions et des ductions (lors de l’étude de la motilité) et par une limitation des ductions passives (test de duction forcée). Elles peuvent aussi associer une rétraction du globe dans certaines directions du regard.
Nous éliminons ici les anomalies mécaniques acquises (dysthyroïdie, forte myopie, myopathie mitochondriale, fracture de l’orbite, chirurgie de décollement de rétine, anesthésie péri-bulbaire pour cataracte, tumeur ou inflammation orbitaire, syndrome de Brown acquis…).
Nous nous intéressons dans ce chapitre aux anomalies précoces et associées à une anomalie de la verticalité : syndrome de Brown congénital, fibrose congénitale des muscles oculomoteurs et syndrome de rétraction de Stilling Duane associés à un strabisme vertical.
Syndrome de Brown
Rappels
Le tendon du muscle oblique supérieur mesure 26 mm.
Le mouvement d’élévation du globe nécessite, en adduction, un allongement de la distance entre la trochlée et l’insertion du muscle oblique supérieur.
Signes cliniques
Voir les figures n° 1 et 2.
Signes indispensables au diagnostic
• Déficit de l’élévation en adduction ou déficit global de l’élévation mais prédominant en adduction (lors des mouvements de versions et de ductions) ;
• Au test de duction passive (forcée) à l’aide d’une pince : impossibilité d’élever le globe en haut et en dedans.
Signes facultatifs
• Insuffisance d’élévation en position médiane et en abduction (toujours moindre qu’en adduction) ;
• Hypotropie en adduction (dans une forme modérée) ;
• Hypotropie en position primaire (dans une forme sévère) ;
• Élargissement de la fente palpébrale ;
• Torticolis. Le torticolis est inconstant. Il est souvent associé à une hypotropie en position primaire. Son origine peut être binoculaire ou mécanique. Le torticolis peut combiner 3 directions : tête tournée vers le côté opposé au syndrome, menton relevé et tête penchée.
• Signes fonctionnels. Les plaintes fonctionnelles sont rares dans les formes congénitales (sensation de « gêne » dans la direction du regard intéressée, diplopie, clic syndrome audible dans les formes intermittentes).
• Bilan sensoriel. Une vision stéréoscopique est possible dans les positions de phorie. L’amblyopie est rare.
Coordimétrie.
Le tracé coordimétrique est souvent caractéristique (figure n° 3).
La limite supérieure du tracé de l’œil atteint est oblique avec un déficit d’élévation majoré en adduction. Et la partie inférieure du tracé est normale (sans hyperaction de l’oblique supérieur).
Physiopathogénie
La physiopathogénie du syndrome de Brown congénital reste mystérieuse. Il existe bien une incapacité à augmenter la distance entre la trochlée et l’insertion du tendon de l’oblique supérieur et une limitation d’extension du tendon.
Mais plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette réalité et sans doute des étiologies différentes.
Brown évoquait une inextensibilité de la gaine du tendon de l’oblique supérieur.
Pour certains auteurs, dont Parks, le tendon lui-même peut être inextensible.
Mais le syndrome peut aussi s’expliquer par une limitation du coulissage du tendon dans la trochlée en rapport avec une anomalie intratrochléaire (Helveston) ou une anomalie musculo-tendineuse avec épaississement dans la région trochléaire.
Des anomalies morphologiques très diverses ont été rapportées : structure anormale du tendon, anomalies d’insertion, adhérences avec la poulie, le muscle releveur de la paupière supérieure ou le muscle droit supérieur.
Diagnostic différentiel
Syndrome de Brown acquis
Un syndrome de Brown acquis peut survenir au décours d’un traumatisme au niveau de la trochlée (le coordimètre peut alors être typique en aspect de pyramide tronquée avec une limitation du muscle oblique supérieur homolatéral).
Le syndrome de Brown acquis peut aussi s’expliquer par une atteinte musculaire (nodule inflammatoire, plicature ou résection de l’oblique supérieur) ou une inflammation de voisinage (sinusite).
Autres causes
Une paralysie de l’oblique inférieur peut être évoquée si le test de duction forcé est normal. Une fracture de l’orbite ou une fibrose du muscle droit inférieur peut aussi provoquer une limitation de l’élévation.
Dans tous les cas, l’élément clef en faveur du syndrome de Brown est le déficit d’élévation plus marqué en adduction.
Évolution et traitement
Le syndrome de Brown congénital peut parfois spontanément régresser. C’est pourquoi il ne faut jamais se précipiter pour opérer mais toujours se donner un temps de recul nécessaire.
Il faut traiter une éventuelle anomalie réfractive ou une amblyopie associée.
Le traitement consiste le plus souvent en une simple observance, le regard en haut étant de moins en moins sollicité avec l’âge.
Une chirurgie est envisagée s’il existe un torticolis invalidant et/ou une hypotropie en position primaire. Le test de duction passive doit confirmer le diagnostic en peropératoire et la duction passive doit être normalisée en fin d’intervention après l’affaiblissement de l’oblique supérieur.
Fibrose congénitale des muscles oculomoteurs
Généralités
La fibrose congénitale se caractérise par une limitation importante des ductions, mais l’atteinte est variable et peut toucher les muscles droits supérieurs, inférieurs et/ou médiaux qui sont remplacés par du tissu fibreux.
Les tests de duction peuvent aider au diagnostic des muscles atteints.
Un ptôsis est fréquemment associé.
L’examen retrouve rarement des anomalies oculaires ou générales associées.
Cette fibrose congénitale est secondaire à une anomalie de l’embryogenèse des noyaux oculomoteurs.
Formes cliniques (ancienne classification de Harley, 1 978)
Syndrome de fibrose généralisée
Les yeux sont fixes en hypotropie et parfois en exotropie avec le menton relevé. Des spasmes en convergence peuvent apparaître dans le regard en haut. Les mouvements horizontaux et d’élévation sont limités de façon majeure. Il s’agit souvent d’une forme familiale.
Syndrome de fibrose du droit inférieur
L’atteinte est unie ou bilatérale avec une limitation de l’élévation entraînant un relèvement du menton.
Strabismus fixus.
Il n’existe pas dans ce cas de strabisme vertical. Seules les ductions horizontales sont limitées.
Syndrome de rétraction verticale
L’élévation est limitée avec une possible dépression dans l’abduction ou une rétraction du globe dans le regard en bas. La fibrose intéresse sans doute essentiellement le muscle droit supérieur.
Syndrome de fibrose unilatérale
Le globe est alors fixe avec énophtalmie et ptôsis.
Formes génétiques (Engle)
• Forme 1 : anomalie du chromosome 12 en 12p11.2-q12 ;
• Forme 2 : anomalie du chromosome 11 en 11q13.1 ;
• Forme 3 : anomalie du chromosome 16 en 16q24.2q24.3.
Quatre phénotypes
La forme 1 ou classique est rencontré en Europe et aux USA. Le ptôsis est bilatéral avec des yeux en hypotropie et une impotence d’élévation entraînant un menton relevé. On retrouve les spasmes en convergence dans la tentative de regarder vers le haut.
La forme 2 (Iran) associe au ptôsis et à l’exotropie une limitation de l’abduction et de l’abaissement.
Le type 3 correspond à une atteinte asymétrique et le type 4 aux formes non classifiées aujourd’hui.
Ces nouvelles classifications fondées sur les anomalies génétiques vont sûrement évoluer dans les années à venir en fonction des découvertes génétiques.
Diagnostic différentiel
Le diagnostic de fibrose congénitale doit faire éliminer un tableau de fibrose acquise par myopathie mitochondriale de l’enfant ou ophtalmoplégie chronique externe progressive. L’atteinte de la motilité et le ptôsis sont alors d’évolution progressive et des anomalies rétiniennes et cardiaques peuvent être associées.
Par ailleurs, une tumeur du tronc peut évoquer un tableau de fibrose musculaire. Mais là aussi, l’évolution lente mais progressive doit faire évoquer le diagnostic et demander un bilan neuroradiologique.
Syndrome de Stilling-Duane (1 905)
Ce syndrome neuro-musculaire résulte d’un trouble développemental de l’innervation des muscles oculomoteurs. Au départ existe une agénésie partielle ou totale du noyau du VI qui entraîne secondairement une fibrose des muscles non innervés et des phénomènes de réinnervation aberrante par le VI et le III (tableau 1).
Les strabismes verticaux associés au syndrome de Stilling Duane peuvent être une hypertropie en position primaire mais surtout une élévation ou un abaissement de l’œil atteint en adduction (surtout dans les types III et I). Ces phénomènes en adduction peuvent mimer une hyperaction des muscles obliques. Mais un affaiblissement chirurgical de ces muscles est inefficace.
Ces anomalies verticales de l’œil en adduction sont en effet dues à des effets de bride des muscles fibrosés et/ou aux phénomènes de co-innervation avec une instabilité des poulies et un glissement des muscles. Ainsi dans un type I, le mouvement en adduction entraîne une Co-contraction du droit médial et du droit latéral (voir tableau 1) avec une accentuation de l’effet d’élévation des muscles horizontaux si l’œil est en légère hypertropie et une accentuation de l’effet d’abaissement si l’œil est légèrement hypotropique (Scott).
Des études IRM (Bloom, 1 991) ont montré que, dans certains cas, ce ne sont pas les muscles qui glissent le long du globe mais le globe qui bascule sous les muscles horizontaux.
Ces anomalies verticales sont donc améliorées par la chirurgie horizontale de recul des deux muscles horizontaux qui diminue l’effet bride ou par la Fadenoperation qui limite le déplacement musculaire vers le haut ou vers le bas.
Conclusion
Les anomalies mécaniques précoces entraînant des strabismes verticaux correspondent donc à des entités cliniques variées et de mécanismes très divers.
Dans tous les cas le diagnostic est confirmé par la limitation des ductions actives et passives. Les tests per-opératoires d’élongation musculaire permettent de quantifier les hypo-extensibilités et fibroses musculaires.
L’IRM peut avoir un intérêt en préopératoire, dans les cas de diagnostic difficile ou après un échec chirurgical.
La chirurgie consiste en de grands reculs des muscles pathologiques.
Il est important de ne pas méconnaître le diagnostic car la prise en charge thérapeutique médico-chirurgicale de ces syndromes est différente des autres pathologies strabiques avec un acte chirurgical parfois rendu délicat en raison des fibroses musculaires.
Pour en savoir plus
Références
Sur le syndrome de Brown :
1. Denis D, Hadjadj E. Syndrome de Brown. Dans : Espinasse-Berrod MA. Strabologie : approches diagnostique et thérapeutique. Elsevier ; 2 004. p. 141-51.
Sur les fibroses congénitales :
2. Yazdani A, Traboulsi EI. Classification and surgical management of patients with familial and sporadic forms of congenital fibrosis of the extraocular muscles. Ophthalmology 2 004 ; 111 : 1 035-42.
3. Roussat B. Fibroses congénitales des muscles oculomoteurs. Dans : Espinasse-Berrod MA. Strabologie : approches diagnostique et thérapeutique. Elsevier ; 2 004. p. 181-3.
Sur le syndrome de Stilling Duane :
4. Bloom JN, Graviss ER, Mardelli PG. A magnetic resonance imaging study of the upshoot-downshoot phenomenon of Duane retraction syndrome. Am J Ophthalmol 1 991 ; 111 : 549-53.
5. Méhel E, Quéré MA, Lavenant F, Péchereau A. Épidémiologie et aspects cliniques du syndrome de Stilling-Türk-Duane. J Fr Ophtalmol 1 996 ; 19 : 533-42.
6. Mohan K, Saroha V, Sharma A. Factors predicting upshoots and downshoots in Duane’s retraction syndrome. J Pediatr Ophthalmol Strabismus. 2 003 ; 40 : 147-51.
7. Péchereau A. Syndrome de Stilling-Duane. Dans : Espinasse-Berrod MA. Strabologie : approches diagnostique et thérapeutique. Elsevier ; 2 004. p. 133-40.
8. Roth A. Torticolis et syndrome de rétraction de Stilling-Duane. Dans : Péchereau A, Richard B, Eds Le torticolis. Nantes : FNRO Éditions ; 2 002. p. 117-25.