Torticolis spasmodique Jean-René Fève & Jean-Marc Fève
Introduction

Pour un neurologue, il serait tentant de jouer les provocateurs en vous disant qu’un sujet se plaignant d’une diplopie ou d’une vision « trouble  » corrigée par l’occlusion est atteint d’une paralysie du IV à partir de l’observation d’un latérocolis. Évidemment, cet énoncé est à tout le moins superflu devant des Ophtalmologistes.
Pour ne pas rester trop austère, je souhaiterais rappeler que le mot torticolis apparaît dans la langue française au XVIe siècle dans le « Pantagruel  » de notre confrère François Rabelais
: son héros, Panurge, entreprend la greffe de la tête de son ami Epistemon fraîchement décapité. Il va prendre les plus rigoureuses précautions en alignant « artères, veines, nerfs et vertèbres, et les recoudre par plus de treize points d’aiguille de crainte que son ami ne reste torty colly  ».
Le torticolis Spasmodique sera le point essentiel de notre propos, mais je retiendrai deux autres situations cliniques où le neurologue est sollicité.

L’attitude anormale de la tête et du cou dans les tumeurs sous-tentorielles

L’attitude inclinée, en latérocolis ou rétro-latérocolis de la tête est observée plus d’une fois sur trois dans les tumeurs de la fosse postérieure. Ces tumeurs, et tout particulièrement les Médulloblastomes, sont pratiquement l’apanage de l’enfant. L’attitude anormale de la tête précède, aux yeux des proches, les troubles de l’équilibre et à plus forte raison les manifestations de l’hypertension intracrânienne. Ceci se comprend lorsqu’on sait que l’inclinaison de la tête est en rapport avec l’infiltration ou la compression du faisceau longitudinal médial. Au stade d’engagement postérieur le rétrocolis, parfois irréductible, est un signe alarmant, indiquant le recours urgent au neurochirurgien.
Bien avant que la neuroradiologie, avec la TDM puis l’IRM, ne vienne nous faciliter le diagnostic des tumeurs encéphaliques, nous savions que la découverte d’un œdème papillaire était une éventualité « infidèle  » une fois sur trois. Actuellement la proportion de papilles normales dépasse les 2/3 alors que l’hypertension intracrânienne est patente.

Torticolis accompagnant une amyotrophie des muscles cervicaux

Devant l’apparition et l’aggravation rapides d’une déformation le plus souvent- scoliotique du rachis cervical, l’orthopédiste ou le rhumatologue consulté en premier nous interroge parfois sur le possible retentissement de la scoliose sur la moelle ou les racines cervicales. Les données cliniques (fasciculations importantes, sévérité de l’amyotrophie, qui affectent aussi la langue et/ou les muscles péri-scapulaires) qui seront confirmées par l’électromyogramme, nous ont presque toujours conduits au diagnostic d’une atteinte des motoneurones cervicaux supérieurs (l’extension progressive ultérieure de l’amyotrophie venant, hélas, signer le diagnostic de SLA).

Le torticolis spasmodique

Longtemps considéré comme une manifestation psychogène (« torticolis mental  »), il existe aujourd’hui des arguments indiscutables en faveur de l’organicité de cette affection que l’on classe actuellement dans le vaste cadre des dystonies, affections caractérisées par un trouble moteur d’intensité variable, responsable d’une contraction anormale et involontaire de groupes musculaires (spasme dystonique), fixant un membre ou un segment de l’axe corporel dans des attitudes particulières, suivant un schéma spécifique à chaque patient.
Donc Dystonie = Trouble du tonus musculaire, particulièrement présent dans l’attitude plus que le mouvement.
Dans l’immense majorité des cas, l’étiologie reste méconnue et l’on parle de torticolis spasmodique idiopathique
: rarement il s’agit de lésions identifiées du système nerveux central (vasculaires, anoxiques, tumorales, métaboliques (Wilson), post-traumatiques, parfois génétiques), mais le tableau est plus volontiers plus « diffus  », se limitant rarement à la seule sphère cervico-céphalique. La physiopathologie est aussi mal connue, mais implique fortement la région des noyaux gris centraux, notamment la région striatale.
L’affection touche de préférence l’adulte à partir de la quarantaine avec une légère prédominance masculine.
La présentation clinique est très particulière
; il serait déplacé à l’époque actuelle d’en faire une description purement livresque, l’apport des enregistrements vidéo ayant apporté un plus inestimable dans l’analyse clinique, et constituant un support didactique essentiel dans ce type d’affections. Notons que le plus souvent le torticolis spasmodique est dit « pur  » se faisant essentiellement en rotation avec la mise en jeu d’un couple rotateur associant les muscles splénius capitis, angulaire de l’omoplate et trapèze du côté de la déviation, et le sterno-cléido-mastoïdien controlatéral; d’autres formes diversement associées peuvent se voir (rétrocolis, latérocolis, plus rarement anté ou procolis). L’association à un tremblement du chef est possible; le torticolis s’accompagne de douleurs dans 50  % des cas; l’utilisation d’un geste antagoniste (mouvement conjuratoire) est fréquente. 15  % des patients ont un nystagmus spontané, le plus souvent dans la direction opposée à celle de la rotation de la tête, mais il n’existe pratiquement jamais de signes fonctionnels visuels.
Le traitement est délicat, associant plusieurs méthodes
: prise en charge rééducative, certains médicaments (myorelaxants, antispastiques, parfois anticholinergiques et agents dopaminergiques), et surtout depuis une douzaine d’années les injections locales de toxine botulinique qui ont représenté une avancée considérable dans la prise en charge de cette maladie. La chirurgie est possible dans certains cas graves et rebelles.