Torticolis et syndrome de rétraction de Stilling-Duane André Roth
Introduction

Une position plus ou moins permanente de torticolis d’origine oculaire résulte, pour celui qui l’adopte, d’un compromis: le sujet préfère bénéficier de la meilleure vision possible au prix d’un inconfort de position de la tête, plutôt que du confort de la position tête droite au prix d’une vision moindre. Dans le cas particulier du syndrome de rétraction de Stilling-Duane, pourquoi un sujet adopte-t-il une position de torticolis? Peut-on éliminer le torticolis sans lui faire perdre l’avantage de la vision optimale?

Rappel nosologique du syndrome de Stilling-Duane

La « rétraction  » désigne le mouvement de recul du globe oculaire qui accompagne la rotation de celui-ci dans une direction donnée. Elle se reconnaît à l’énophtalmie et à la diminution de l’ouverture de la fente palpébrale qui surviennent lors de cette rotation. Ce signe séméiologique est caractéristique (mais non exclusif) du syndrome d’impotence (ou de limitation) oculomotrice du syndrome de Stilling-Duane.
Le syndrome de Stilling-Duane est un syndrome neuro-musculaire résultant d’un trouble développemental de l’innervation des muscles oculomoteurs. Ce trouble survient entre la 4e et la 8e semaine de gestation (6e et 10e S.A.). L’atteinte peut être bilatérale
; elle est souvent alors asymétrique. Le gène en cause n’est pas encore connu. La thalidomide provoque un syndrome de Stilling-Duane expérimental.
Le syndrome de Stilling-Duane est le résultat
:

• D’une agénésie partielle ou totale du noyau du VIe nerf crânien;
• D’une innervation aberrante du droit latéral par des fibres du IIIe nerf crânien, (par compétition entre les fibres des IIIe et du VIe nerfs crâniens)
;
• Associée à une fibrose des parties de muscle non innervées (droit latéral, parfois médial).

On distingue quatre types de syndrome de Stilling-Duane, selon la part d’innervation résiduelle du droit latéral par d’éventuelles fibres du VIe nerf crânien et la répartition de la co-innervation du droit médial et du droit latéral par les fibres du IIIe nerf crânien (voir tableau I) [1, 4, 5, 7, 8]. Deux mécanismes expliquent les anomalies motrices de l’œil atteint:

• La co-contraction ou la co-inhibition des droits médial et latéral selon la direction du regard, résultat de leur co-innervation par le IIIe nerf crânien;
• La fibrose ou/et la contracture musculaire.

Les anomalies que l’on constate au niveau de l’œil atteint sont de trois ordres:

• Des limitations motrices auxquelles s’associent parfois des déviations verticales;
• Un strabisme incomitant et parfois une amblyopie
;
• Une rétraction ou une protrusion de l’œil atteint, dues respectivement à la co-contraction ou à la co-inhibition des muscles droits horizontaux, selon la direction du regard, avec les variations concomitantes de l’ouverture de la fente palpébrale.

Ces anomalies provoquent une gêne visuelle lorsque le sujet tient la tête droite et regarde droit devant lui. Pour y échapper, le sujet peut adopter une position de torticolis; c’est le cas le plus fréquent. Il peut aussi, mais c’est plus rare, neutraliser l’image de l’œil atteint et garder la tête droite, au prix cependant d’un strabisme de l’œil atteint.

Le pourquoi du torticolis du syndrome de Stilling-Duane

Le torticolis du syndrome de Stilling-Duane s’explique à partir de deux données fondamentales:

• Les deux yeux reçoivent, selon la loi de Hering, un flux innervationnel équivalent. Mais ce flux aura des effets moteurs différents sur chacun des yeux en raison des anomalies de l’œil atteint, c’est-à-dire de l’innervation anormale du droit latéral, de la co-innervation par le IIIe nerf crânien des droits horizontaux et aussi du déséquilibre surajouté des forces passives de ceux-ci. Cela explique pourquoi les yeux ne peuvent pas être alignés dans toutes les directions du regard. Le flux qui, en particulier, permet à l’œil sain de se tenir en position primaire fera dévier l’œil atteint; celui-ci sera inévitablement plus ou moins strabique. Le sujet ne peut aligner les axes visuels des deux yeux qu’en dirigeant le regard dans une direction où l’effet du flux innervationnel produit un résultat moteur identique pour les deux yeux.
• Le torticolis est un signe fréquent, mais non obligatoire du syndrome de Stilling-Duane. Aucun obstacle mécanique n’oblige ici le sujet à adopter une telle position. Pourquoi le sujet opte-t-il le plus souvent pour le torticolis
? Plusieurs raisons peuvent l’expliquer:
¬ La plus fréquente est la possibilité d’aligner, à ce prix, les axes visuels et de
récupérer ainsi l’usage de la vision binoculaire, accessoirement de réduire la gêne dans la direction de l’impotence;
¬ Ou, en l’absence de vision binoculaire possible, la nécessité, pour une raison ou une autre, réfractive par exemple, de fixer de l’œil atteint ou, lorsque les deux sont atteints, la nécessité de fixer avec l’un des yeux atteints (voir ci-dessous).

Mais le torticolis a aussi des inconvénients, ceux:

• De rendre inconfortable le maintien de la tête;
• De rendre l’énophtalmie plus visible dans cette position
;
• D’altérer de l’image de soi.

Dans d’autres cas, moins fréquents, le sujet tient la tête droite et neutralise l’œil atteint; cet œil est alors strabique, avec souvent un certain degré d’amblyopie. Pour quelles raisons le sujet opte-t-il pour ce choix qui exclut l’usage de la vision binoculaire normale:

• Parce que la position où les yeux sont alignés est trop latérale pour pouvoir être maintenue de façon permanente; en pareil cas, la potentialité de binocularité normale n’a pas disparu, comme on peut le vérifier en version extrême;
• En raison d’un strabisme concomitant précoce associé.
Le torticolis selon le type du syndrome de Stilling-Duane

: la tête est tournée

Syndrome de Stilling-Duane

Torticolis
de type I

en direction de l’œil atteint

de type II

en direction de l’œil sain

de type III

selon la position de l’œil atteint

de type IV

plus ou moins en direction de l’œil sain

bilatéral

selon le(s) type(s) et l’œil dominant

Tableau II. Le sens du torticolis selon le type du syndrome de Stilling-Duane.


Le torticolis du type I

Dans la forme complète du type I, le plus fréquent, le droit latéral est inextensible et incapable de se contracter; la tension passive du droit médial est plus ou moins augmentée. L’adduction, parfois légèrement limitée par l’inextensibilité du droit latéral, résulte de la contraction du muscle droit médial sous l’effet de la co-innervation des droits horizontaux par les fibres du IIIe nerf crânien, co-innervation qui reste inopérante sur le droit latéral fibreux. L’abduction est nulle du fait de la co-inhibition des muscles droits horizontaux; lorsqu’il paraît exister une infime abduction, celle-ci n’est que le résultat de la tension passive du droit latéral opposée à celle du droit médial alors relâché. Lorsque le sujet tient la tête droite et fixe de l’œil sain droit devant, l’œil atteint est par conséquent déséquilibré en ésodéviation.
Pour aligner les axes visuels des deux yeux et retrouver l’usage de sa vision binoculaire, le sujet est obligé de chercher la position de moindre version à partir de laquelle l’effet du flux innervationnel est identique pour les deux yeux, c’est-à-dire une position d’adduction plus ou moins marquée pour l’œil atteint
; le torticolis sera par conséquent tête tournée en direction de l’œil atteint (figure n° 1).

Le torticolis du type II

Dans le type II, le droit latéral reçoit une double innervation par les fibres du VIe nerf crânien et par des fibres du IIIe nerf crânien. L’adduction est nulle en raison de la co-innervation des muscles droits horizontaux par le IIIe nerf crânien et de la co-contraction qui en résulte. L’abduction est possible; elle est due à la contraction isolée du droit latéral sous l’effet des fibres du VIe nerf crânien. Lorsque le sujet tient la tête droite et fixe de l’œil sain droit devant, l’œil atteint est déséquilibré en exodéviation du fait de la double stimulation du droit latéral.
Pour aligner les axes visuels des deux yeux et retrouver l’usage de sa vision binoculaire, le sujet est obligé de chercher la position de moindre version à partir de laquelle l’effet du flux innervationnel est identique pour les deux yeux, c’est-à-dire pour l’œil atteint, une position d’abduction plus ou moins marquée
; le torticolis sera par conséquent tête tournée en direction de l’œil sain (figure n° 2).

Le torticolis du type III

Dans le type III, l’adduction et l’abduction sont quasi nulles. Lorsque le sujet tient la tête droite et fixe de l’œil sain droit devant, la position de l’œil atteint dépend de l’équilibre ou du déséquilibre entre les tensions active et passive des muscles droits horizontaux; ainsi cet œil peut aussi bien être maintenu en légère ésotropie qu’exotropie, ou être juste redressé.
Pour aligner les axes visuels des deux yeux et retrouver si possible l’usage de sa vision binoculaire, le sujet est obligé d’adopter une position de la tête qui corresponde à la position dans laquelle l’œil atteint est tenu (figure n° 3).

Le torticolis du type IV

Dans le type IV, la tentative d’adduction de l’œil atteint (abduction de l’œil sain) aboutit à une abduction paradoxale de dernier; la tentative d’abduction (adduction de l’œil sain) n’aboutit à aucun mouvement de l’œil atteint; mais elle peut s’accompagner d’une légère exophtalmie et ouverture de la fente palpébrale du côté de ce dernier. Lorsque le sujet tient la tête droite et fixe de l’œil sain droit devant, l’œil atteint est déséquilibré en exotropie; cela se comprend facilement, car l’activité du droit latéral de l’œil sain est reportée par le jeu de loi de Hering sur le droit latéral de l’œil atteint.
Pour aligner les axes visuels des deux yeux et retrouver l’usage de sa vision binoculaire, le sujet est obligé de rechercher une position de version intermédiaire en direction de l’œil atteint, correspondant à une position où l’abduction de l’œil atteint est moindre et juste égale à l’adduction de l’œil sain
; il adopte par conséquent une position de torticolis tête plus ou moins tournée en direction de l’œil sain (figure n° 4).

Les formes bilatérales

Pour certains auteurs [6], la plupart des cas de syndrome de Stilling-Duane sont bilatéraux. S’ils le sont effectivement, ils le sont le plus souvent de façon asymétrique. Ils sont parfois de type différent selon le côté (par ex. type III à droite et type I à gauche).
Le torticolis des formes bilatérales dépend des conditions motrices de chacun des yeux. Si la vision binoculaire est potentiellement normale, le sujet adoptera, s’il peut la trouver, la direction du regard où les axes visuels sont alignés. Si une telle direction n’existe pas, le torticolis dépendra des conditions motrices de l’œil dominant.
En cas de
déviation verticale, l’alignement des axes visuels des deux yeux peut nécessiter un torticolis plus complexe, associant à la rotation droite ou gauche de la tête, un abaissement ou élévation du menton et/ou une inclinaison droite ou gauche de la tête.

Le traitement du torticolis.
La correction du torticolis

C’est l’objectif principal du traitement chirurgical du syndrome de Stilling-Duane; d’autres indications peuvent justifier une intervention, le strabisme en tant que tel, en l’absence de torticolis, les troubles associés de la verticalité et la rétraction, lorsque la cure chirurgicale est nécessaire et possible; il est plus discutable de vouloir compenser l’impotence (voir ci-dessous).
Les torticolis légers et non gênants ne nécessitent pas de traitement. Il faut également s’abstenir d’opérer lorsque l’intervention ne peut apporter qu’une amélioration hypothétique ou négligeable.
Comment agir sur le torticolis? Le principe opératoire, déduction logique des anomalies neuromusculaires décrites ci-dessus, consiste à affaiblir le muscle dont l’action excessive maintient l’œil atteint en position strabique lorsque l’œil sain est en position primaire [2, 5].

En cas de type I

L’opération consistera en un recul du droit médial de l’œil atteint. Le résultat sur le torticolis étant volontiers incomplet, il faudra appliquer un dosage moyen de 1 mm/1,0°, ajusté en fonction de l’extensibilité du muscle (plus l’extensibilité du muscle est réduite, plus l’effet opératoire sera grand). Si l’effet paraît difficilement prévisible, on pratiquera un recul ajustable.
Pour réduire l’énophtalmie, on reculera de 2 mm ou au plus de 3 mm le droit latéral impotent de l’œil atteint, selon l’extensibilité de ce muscle
; il faudra alors augmenter d’autant le recul du droit médial. En cas d’hypertropie ou d’hypotropie en adduction (due au glissement latéral du droit latéral inextensible sur le globe), le plus simple est d’associer au recul un clivage en V du droit latéral [3, 5]; la myopexie postérieure du droit latéral, également proposée pour empêcher le glissement latéral, risque d’augmenter l’énophtalmie.
Le recul du droit médial de l’œil sain peut compléter le recul du droit médial de l’œil atteint
; il agit par le jeu de la loi de Hering. Il est indiqué lorsque l’angle strabique est très important, et, en particulier donc, dans les cas de strabisme sans torticolis.

En cas de type II

L’opération consistera en un recul du droit latéral de l’œil atteint.
Pour réduire l’énophtalmie, on reculera le droit médial de l’œil atteint
; il faudra alors augmenter d’autant le recul du droit latéral.

En cas de type III

L’opération consistera en un positionnement de l’œil atteint en position primaire par un recul du droit médial et/ou du droit latéral de l’œil atteint, au besoin sur sutures ajustables. Le double recul, réparti de manière à redresser l’œil, réduira l’énophtalmie due à la co-contraction. Toutefois en cas d’hyperextensibilité de l’un des muscles, il faudra plisser ce dernier.

En cas de type IV

L’opération consistera en un large recul du droit latéral de l’œil atteint; si ce recul s’avère insuffisant, a priori ou a posteriori, on pourra envisager une transplantation du droit latéral de l’œil atteint au droit médial selon Kaufmann- [5].

Le traitement de l’impotence

Le traitement de l’impotence du type I par la myopexie postérieure du droit médial de l’œil sain est en réalité un pseudo-traitement; elle consiste à limiter l’adduction de l’œil sain pour réduire l’incomitance dans la version en direction de l’œil atteint. Une opération de transposition musculaire de type Hummelsheim sur les droits verticaux en direction du droit latéral de l’œil atteint a été proposée pour déplacer et éventuellement élargir le champ moteur de l’œil atteint du côté temporal. Dans la majorité des cas cependant, une telle intervention n’est pas justifiée, compte tenu de ses possibles aléas, ni indispensable.

Conclusion

Le torticolis est la manifestation la plus visible et la plus fréquente du syndrome de Stilling-Duane. Il constitue une gêne évidente pour le patient, avec des répercussions possibles sur la statique et dynamique cervicale. C’est pourquoi il nécessite un traitement dès lors qu’il est tant soit peu marqué. Ce traitement est chirurgical; la stratégie opératoire doit être une correction logique des déséquilibres musculaires en présence. Le geste chirurgical ne doit en aucun cas risquer de majorer les signes du syndrome.

Références bibliographiques

1. Huber A. Duane’s retraction syndrome. Consideration on pathophysiology and etiology. In: Reinecke RD (ed.): Strabismus II Proc IV Meet ISA, Asilomar, 1982, pp. 345-361.
2. Kaufmann H, Kolling GH, Hartwig H. Das Retraktionssyndrom von Stilling-Türk-Duane. Klin Mbl Augenheilk, 1
981, 178, 110-115.
3. Noorden GK von. Recession of both horizontal recti muscles in Duane’s retraction syndrome with elevation and depression of the adducted eye. Am J Opthalmol, 1
992, 114, 311-313.
4. De Respinis PA, Caputo AR, Wagner RS, Guo S. Duane’s retraction syndrome. Surv Ophthalmol, 1
993, 38: 257-288.
5. Roth A, Speeg-Schatz C. La chirurgie oculomotrice. Masson, Paris, 1
995 et Eye Muscle Surgery, Swets & Zeitlinger, Lisse (NL), 2001.
6. Rowe FJ, Wong ML, Mac Even CJ. Duane’s restrction syndrome - bilateral until proven otherwise. Brit Orthop J, 1
991, 48: 36-38.
7. Spielmann A. Les strabismes. De l’analyse clinique à la synthèse chirurgicale. 2e édit, Masson, Paris, 1
991.
8. Wilcox LM, Gittinger JW, Breini GM. Congenital adduction palsy and synergistic divergence. Am J Ophthalmol, 1
981, 91: 1-7.




Torticolis et syndrome de rétraction de Stilling-Duane

André Roth
Introduction
Une position plus ou moins permanente de torticolis d’origine oculaire résulte, pour celui qui l’adopte, d’un compromis : le sujet préfère bénéficier de la meilleure vision possible au prix d’un inconfort de position de la tête, plutôt que du confort de la position tête droite au prix d’une vision moindre. Dans le cas particulier du syndrome de rétraction de Stilling-Duane, pourquoi un sujet adopte-t-il une position de torticolis ? Peut-on éliminer le torticolis sans lui faire perdre l’avantage de la vision optimale ?
Rappel nosologique du syndrome de Stilling-Duane
La « rétraction » désigne le mouvement de recul du globe oculaire qui accompagne la rotation de celui-ci dans une direction donnée. Elle se reconnaît à l’énophtalmie et à la diminution de l’ouverture de la fente palpébrale qui surviennent lors de cette rotation. Ce signe séméiologique est caractéristique (mais non exclusif)du syndrome d’impotence(ou de limitation) oculomotrice du syndrome de Stilling-Duane.
Le syndrome de Stilling-Duane est un syndrome neuro-musculaire résultant d’un trouble développemental de l’innervation des muscles oculomoteurs. Ce trouble survient entre la 4e et la 8e semaine de gestation (6e et 10e S.A.). L’atteinte peut être bilatérale ; elle est souvent alors asymétrique. Le gène en cause n’est pas encore connu. La thalidomide provoque un syndrome de Stilling-Duane expérimental.
Le syndrome de Stilling-Duane est le résultat :

  • D’une agénésie partielle ou totale du noyau du VIe nerf crânien ;

  • D’une innervation aberrante du droit latéral par des fibres du IIIe nerf crânien, (par compétition entre les fibres des IIIe et du VIe nerfs crâniens) ;

  • Associée à une fibrose des parties de muscle non innervées (droit latéral, parfois médial).

On distingue quatre types de syndrome de Stilling-Duane, selon la part d’in-nervation résiduelle du droit latéral par d’éventuelles fibres du VIe nerf crânien et la répartition de la co-innervation du droit médial et du droit latéral par les fibres du IIIe nerf crânien (voir tableau I) [1, 4, 5, 7, 8]. Deux mécanismes expliquent les anomalies motrices de l’œil atteint :

• La co-contraction ou la co-inhibition des droits médial et latéral selon la direction du regard, résultat de leur co-innervation par le IIIe nerf crânien ;





Fibrose du droit latéral
Pas de mouvement
Adduction + rétraction du globe

Droit latéral fonctionnel
Abduction
Pas de mouvement + rétraction du globe

± Fibrose des deux muscles
Pas de mouvement
Pas de mouvement + rétraction du globe


Pas de mouvement
Divergence synergique


Syndrome de Stilling-Duane

Anomalie innervationnelle

Œil atteint : Abduction

Œil atteint : Adduction

Type IInnervation aberrante du droit latéral par le III Co-inhibition du droit médial + latéral

Co-contraction droit médial + latéral

Type II

Innervation double du droit latéral par le III et le VI

Contraction isolée droit latéral

Co-contraction droit médial + latéral

Type III

Innervation ± égale du droit médial et du droit latéral par le III

Co-inhibition du droit médial + latéral

Co-contraction du droit médial + latéral

Type IV

Innervation des deux muscles par le III, mais prédominante pour le droit latéral

Co-inhibition du droit médial + latéral

Contraction du droit latéral

Tableau I (A. Roth) : Les Types du syndrome de Stilling-Duane.

    • La fibrose ou/et la contracture musculaire.
    • Les anomalies que l’on constate au niveau de l’œil atteint sont de trois ordres :
  • Des limitations motrices auxquelles s’associent parfois des déviations verticales ;
  • Un strabisme incomitant et parfois une amblyopie ;
  • Une rétraction ou une protrusion de l’œil atteint, dues respectivement à la co-contraction ou à la co-inhibition des muscles droits horizontaux, selon la direction du regard, avec les variations concomitantes de l’ouverture de la fente palpébrale.

Ces anomalies provoquent une gêne visuelle lorsque le sujet tient la tête droite et regarde droit devant lui. Pour y échapper, le sujet peut adopter une position de torticolis ; c’est le cas le plus fréquent. Il peut aussi, mais c’est plus rare, neutraliser l’image de l’œil atteint et garder la tête droite, au prix cependant d’un strabisme de l’œil atteint.
Le pourquoi du torticolis du syndrome de Stilling-Duane
Le torticolis du syndrome de Stilling-Duane s’explique à partir de deux données fondamentales :

  • Les deux yeux reçoivent, selon la loi de Hering, un flux innervationnel équivalent. Mais ce flux aura des effets moteurs différents sur chacun des yeux en raison des anomalies de l’œil atteint, c’est-à-dire de l’inner-vation anormale du droit latéral, de la co-innervation par le IIIe nerf crânien des droits horizontaux et aussi du déséquilibre surajouté des forces passives de ceux-ci. Cela explique pourquoi les yeux ne peuvent pas être alignés dans toutes les directions du regard. Le flux qui, en particulier, permet à l’œil sain de se tenir en position primaire fera dévier l’œil atteint ; celui-ci sera inévitablement plus ou moins strabique. Le sujet ne peut aligner les axes visuels des deux yeux qu’en dirigeant le regard dans une direction où l’effet du flux innervationnel produit un résultat moteur identique pour les deux yeux.
  • Le torticolis est un signe fréquent, mais non obligatoire du syndrome de Stilling-Duane. Aucun obstacle mécanique n’oblige ici le sujet à adopter une telle position. Pourquoi le sujet opte-t-il le plus souvent pour le torticolis ? Plusieurs raisons peuvent l’expliquer :
¬ La plus fréquente est la possibilité d’aligner, à ce prix, les axes visuels et de récupérer ainsi l’usage de la vision binoculaire, accessoirement de réduire la gêne dans la direction de l’impotence ;
¬ Ou, en l’absence de vision binoculaire possible, la nécessité, pour une raison ou une autre, réfractive par exemple, de fixer de l’œil atteint

ou, lorsque les deux sont atteints, la nécessité de fixer avec l’un des yeux atteints (voir ci-dessous). Mais le torticolis a aussi des inconvénients, ceux :

  • De rendre inconfortable le maintien de la tête ;
  • De rendre l’énophtalmie plus visible dans cette position ;
    • D’altérer de l’image de soi.
    • Dans d’autres cas, moins fréquents, le sujet tient la tête droite et neutralise l’œil atteint ; cet œil est alors strabique, avec souvent un certain degré d’amblyopie. Pour quelles raisons le sujet opte-t-il pour ce choix qui exclut l’usage de la vision binoculaire normale :
  • Parce que la position où les yeux sont alignés est trop latérale pour pouvoir être maintenue de façon permanente ; en pareil cas, la potentialité de binocularité normale n’a pas disparu, comme on peut le vérifier en version extrême ;
  • En raison d’un strabisme concomitant précoce associé.

Le torticolis selon le type du syndrome de Stilling-Duane













Syndrome de Stilling-Duane

Torticolis : la tête est tournée

de type Ien direction de l’œil atteint
de type IIen direction de l’œil sain
de type IIIselon la position de l’œil atteint
de type IV

plus ou moins en direction de l’œil sain

bilatéral

selon le(s) type(s) et l’œil dominant

Tableau II. Le sens du torticolis selon le type du syndrome de Stilling-Duane.

Le torticolis du type I
Dans la forme complète du type I, le plus fréquent, le droit latéral est inextensible et incapable de se contracter ; la tension passive du droit médial est plus ou moins augmentée. L’adduction, parfois légèrement limitée par l’inextensibilité du droit latéral, résulte de la contraction du muscle droit médial sous l’effet de la co-innervation des droits horizontaux par les fibres du IIIe nerf crânien, co-innervation qui reste inopérante sur le droit latéral fibreux. L’abduction est nulle du fait de la co-inhibition des muscles droits horizontaux ; lorsqu’il paraît exister une infime abduction, celle-ci n’est que le résultat de la tension passive du droit latéral opposée à celle du droit médial alors relâché. Lorsque le sujet tient la tête droite et fixe de l’œil sain droit devant, l’œil atteint est par conséquent déséquilibré en ésodéviation.
Pour aligner les axes visuels des deux yeux et retrouver l’usage de sa vision binoculaire, le sujet est obligé de chercher la position de moindre version à partir de laquelle l’effet du flux innervationnel est identique pour les deux yeux, c’est-à-dire une position d’adduction plus ou moins marquée pour l’œil atteint ; le torticolis sera par conséquent tête tournée en direction de l’œil atteint (figure n° 1).
Le torticolis du type II
Dans le type II, le droit latéral reçoit une double innervation par les fibres du VIe nerf crânien et par des fibres du IIIe nerf crânien. L’adduction est nulle en raison de la co-innervation des muscles droits horizontaux par le IIIe nerf crânien et de la co-contraction qui en résulte. L’abduction est possible ; elle est due à la contraction isolée du droit latéral sous l’effet des fibres du VIe nerf crânien. Lorsque le sujet tient la tête droite et fixe de l’œil sain droit devant, l’œil atteint est déséquilibré en exodéviation du fait de la double stimulation du droit latéral.
Pour aligner les axes visuels des deux yeux et retrouver l’usage de sa vision binoculaire, le sujet est obligé de chercher la position de moindre version à partir de laquelle l’effet du flux innervationnel est identique pour les deux yeux, c’est-à-dire pour l’œil atteint, une position d’abduction plus ou moins


Fig 1. Syndrome de Stilling-Duane gauche de type I : torticolis tête tournée vers l’œil sain.

marquée ; le torticolis sera par conséquent tête tournée en direction de l’œil sain (figure n° 2).
Le torticolis du type III
Dans le type III, l’adduction et l’abduction sont quasi nulles. Lorsque le sujet tient la tête droite et fixe de l’œil sain droit devant, la position de l’œil atteint dépend de l’équilibre ou du déséquilibre entre les tensions active et passive des muscles droits horizontaux ; ainsi cet œil peut aussi bien être maintenu en légère ésotropie qu’exotropie, ou être juste redressé.
Pour aligner les axes visuels des deux yeux et retrouver si possible l’usage de sa vision binoculaire, le sujet est obligé d’adopter une position de la tête qui corresponde à la position dans laquelle l’œil atteint est tenu (figure n° 3).
Le torticolis du type IV
Dans le type IV, la tentative d’adduction de l’œil atteint (abduction de l’œil sain) aboutit à une abduction paradoxale de dernier ; la tentative d’abduction (adduction de l’œil sain) n’aboutit à aucun mouvement de l’œil atteint ; mais elle peut s’accompagner d’une légère exophtalmie et ouverture de la fente palpébrale du côté de ce dernier. Lorsque le sujet tient la tête droite et fixe de l’œil sain droit devant, l’œil atteint est déséquilibré en exotropie ; cela se comprend facilement, car l’activité du droit latéral de l’œil sain est reportée par le jeu de loi de Hering sur le droit latéral de l’œil atteint.
Pour aligner les axes visuels des deux yeux et retrouver l’usage de sa vision binoculaire, le sujet est obligé de rechercher une position de version intermédiaire en direction de l’œil atteint, correspondant à une position où l’abduction de l’œil atteint est moindre et juste égale à l’adduction de l’œil


Fig 2. Syndrome de Stilling-Duane gauche de type II : torticolis tête tournée à l’opposé de l’œil atteint.



Fig 3. Syndrome de Stilling-Duane gauche de type III : torticolis inconstant, variable.

sain ; il adopte par conséquent une position de torticolis tête plus ou moins tournée en direction de l’œil sain (figure n° 4).
Les formes bilatérales
Pour certains auteurs [6], la plupart des cas de syndrome de Stilling-Duane sont bilatéraux. S’ils le sont effectivement, ils le sont le plus souvent de façon asymétrique. Ils sont parfois de type différent selon le côté (par ex. type III à droite et type I à gauche).
Le torticolis des formes bilatérales dépend des conditions motrices de chacun des yeux. Si la vision binoculaire est potentiellement normale, le sujet adoptera, s’il peut la trouver, la direction du regard où les axes visuels sont alignés. Si une telle direction n’existe pas, le torticolis dépendra des conditions motrices de l’œil dominant.
En cas de déviation verticale, l’alignement des axes visuels des deux yeux peut nécessiter un torticolis plus complexe, associant à la rotation droite ou gauche de la tête, un abaissement ou élévation du menton et/ou une inclinaison droite ou gauche de la tête.
Le traitement du torticolis.
La correction du torticolis
C’est l’objectif principal du traitement chirurgical du syndrome de Stilling-Duane ; d’autres indications peuvent justifier une intervention, le strabisme en tant que tel, en l’absence de torticolis, les troubles associés de la verticalité et la rétraction, lorsque la cure chirurgicale est nécessaire et possible ; il est plus discutable de vouloir compenser l’impotence (voir ci-dessous).


Fig 4. Syndrome de Stilling-Duane gauche de type IV : torticolis tête tournée vers l’œil sain.

Les torticolis légers et non gênants ne nécessitent pas de traitement. Il faut également s’abstenir d’opérer lorsque l’intervention ne peut apporter qu’une amélioration hypothétique ou négligeable.
Comment agir sur le torticolis ? Le principe opératoire, déduction logique des anomalies neuromusculaires décrites ci-dessus, consiste à affaiblir le muscle dont l’action excessive maintient l’œil atteint en position strabique lorsque l’œil sain est en position primaire [2, 5].
En cas de type I
L’opération consistera en un recul du droit médial de l’œil atteint. Le résultat sur le torticolis étant volontiers incomplet, il faudra appliquer un dosage moyen de 1 mm/1,0°, ajusté en fonction de l’extensibilité du muscle (plus l’extensibilité du muscle est réduite, plus l’effet opératoire sera grand). Si l’effet paraît difficilement prévisible, on pratiquera un recul ajustable.
Pour réduire l’énophtalmie, on reculera de 2 mm ou au plus de 3 mm le droit latéral impotent de l’œil atteint, selon l’extensibilité de ce muscle ; il faudra alors augmenter d’autant le recul du droit médial. En cas d’hypertropie ou d’hypotropie en adduction (due au glissement latéral du droit latéral inextensible sur le globe), le plus simple est d’associer au recul un clivage en V du droit latéral [3, 5] ; la myopexie postérieure du droit latéral, également proposée pour empêcher le glissement latéral, risque d’augmenter l’énophtalmie.
Le recul du droit médial de l’œil sain peut compléter le recul du droit médial de l’œil atteint ; il agit par le jeu de la loi de Hering. Il est indiqué lorsque l’angle strabique est très important, et, en particulier donc, dans les cas de strabisme sans torticolis.
En cas de type II
L’opération consistera en un recul du droit latéral de l’œil atteint.
Pour réduire l’énophtalmie, on reculera le droit médial de l’œil atteint ; il faudra alors augmenter d’autant le recul du droit latéral.
En cas de type III
L’opération consistera en un positionnement de l’œil atteint en position primaire par un recul du droit médial et/ou du droit latéral de l’œil atteint, au besoin sur sutures ajustables. Le double recul, réparti de manière à redresser l’œil, réduira l’énophtalmie due à la co-contraction. Toutefois en cas d’hyperexten-sibilité de l’un des muscles, il faudra plisser ce dernier.
En cas de type IV
L’opération consistera en un large recul du droit latéral de l’œil atteint ; si ce recul s’avère insuffisant, a priori ou a posteriori, on pourra envisager une transplantation du droit latéral de l’œil atteint au droit médial selon Kaufmann [5].
Le traitement de l’impotence
Le traitement de l’impotence du type I par la myopexie postérieure du droit médial de l’œil sain est en réalité un pseudo-traitement ; elle consiste à limiter l’adduction de l’œil sain pour réduire l’incomitance dans la version en direction de l’œil atteint. Une opération de transposition musculaire de type Hummelsheim sur les droits verticaux en direction du droit latéral de l’œil atteint a été proposée pour déplacer et éventuellement élargir le champ moteur de l’œil atteint du côté temporal. Dans la majorité des cas cependant, une telle intervention n’est pas justifiée, compte tenu de ses possibles aléas, ni indispensable.
Conclusion
Le torticolis est la manifestation la plus visible et la plus fréquente du syndrome de Stilling-Duane. Il constitue une gêne évidente pour le patient, avec des répercussions possibles sur la statique et dynamique cervicale. C’est pourquoi il nécessite un traitement dès lors qu’il est tant soit peu marqué. Ce traitement est chirurgical ; la stratégie opératoire doit être une correction logique des déséquilibres musculaires en présence. Le geste chirurgical ne doit en aucun cas risquer de majorer les signes du syndrome.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Huber A. Duane’s retraction syndrome. Consideration on pathophysiology and etiology. In : Reinecke RD (ed.) : Strabismus II Proc IV Meet ISA, Asilomar, 1 982, pp. 345-361.
2. Kaufmann H, Kolling GH, Hartwig H. Das Retraktionssyndrom von Stilling-Türk- Duane. Klin Mbl Augenheilk, 1 981, 178, 110-115.
3. Noorden GK von. Recession of both horizontal recti muscles in Duane’s retraction syndrome with elevation and depression of the adducted eye. Am J Opthalmol, 1 992, 114, 311-313.
4. De Respinis PA, Caputo AR, Wagner RS, Guo S. Duane’s retraction syndrome. Surv Ophthalmol, 1 993, 38 : 257-288.
5. Roth A, Speeg-Schatz C. La chirurgie oculomotrice. Masson, Paris, 1 995 et Eye Muscle Surgery, Swets & Zeitlinger, Lisse (NL), 2 001.
6. Rowe FJ, Wong ML, Mac Even CJ. Duane’s restrction syndrome - bilateral until proven otherwise. Brit Orthop J, 1 991, 48 : 36-38.
7. Spielmann A. Les strabismes. De l’analyse clinique à la synthèse chirurgicale. 2e édit, Masson, Paris, 1 991.
8. Wilcox LM, Gittinger JW, Breini GM. Congenital adduction palsy and synergistic divergence. Am J Ophthalmol, 1 981, 91 : 1-7.